Sur la modulation des services, des primes et des carrières Imprimer

Le projet de décret modifiant le statut des enseignants-chercheurs instaure dans l’enseignement supérieur le principe de la modulation des services et modifie profondément les procédures d’avancement de carrière et d’accès aux délégations, détachements et congés pour recherche et conversions thématiques. Au-delà des modalités que nous analysons par la suite le texte est marqué par le refus obstiné de reconnaître que la charge actuelle à 192 heures est trop lourde pour l’accomplissement des multiples missions des enseignants-chercheurs. En cela il constitue déjà une insulte aux enseignants-chercheurs qui vivent de plus en plus difficilement leurs conditions d’exercice et allongent leur temps de travail pour faire face à des obligations dont la liste s’accroît régulièrement au fil des réformes.

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La modulation, de quoi s’agit-il ?

Alors que jusqu’ici chaque enseignant-chercheur savait que son service d’enseignement était fixé à 192 heures (équivalent TD), ce texte ne mentionne plus le chiffre de 192 heures que comme une valeur « pivot » (conférence de presse de la Ministre) ou « référence » (article 4.II) autour de laquelle le service de chaque collègue tourne, soit supérieur, soit inférieur.

Alourdissement des services d’enseignement pour le plus grand nombre.

Qu’on ne s’y trompe pas : le service de nombreux enseignants-chercheurs sera alourdi par ce dispositif. Il est en effet précisé (article 4.II) que « les principes généraux de répartition des obligations de service et les décisions individuelles d’attribution de services ne peuvent conduire à dégrader le potentiel global d’enseignement ». Donc, pour tout allégement accordé à l’un, il faut infliger un alourdissement à un autre. D’autant que le « potentiel » sera lui-même entamé dès 2009 par 900 suppressions de postes pour un secteur déclaré pourtant prioritaire. On peut imaginer que la remise en cause systématique de l’emploi public réduira encore les moyens de l’université française.

Individualisation et compétition imposée et faussée.

Le service sera défini « en fonction de la qualité des activités de recherche » (article 4.II). Tournant le dos à une conception collaborative et collégiale du travail universitaire, ces dispositions instaurent une hiérarchisation des missions et des personnes au sein d’établissements d’enseignement supérieur et de recherche eux-mêmes concurrentiels et inégalement financés. Pour que tout soit clair le gouvernement vient de mettre en place des « Chaires Université-Organismes » pour promouvoir « l’excellence » qui créent dès le recrutement un nouveau type d’enseignant-chercheur ne dispensant que 64h d’enseignement, se voyant attribuer une prime substantielle et des moyens spécifiques pour sa recherche. La seule réponse de la Ministre à la souffrance des Maîtres de Conférences en début de carrière (unanimement reconnue) est d’en favoriser quelques uns et d’enfoncer les autres dans le cadre d’une compétition totalement déséquilibrée. Cette mesure s’inspire de la création des chaires de l’Institut Universitaire de France (article 9).

Enseignement-punition.

L’enseignement, seule activité calibrée en nombre d’heures, se retrouve la variable d’ajustement et de différenciation des individus. Une telle logique relègue la fonction de formation au second rang, elle l’utilise comme punition pour activité de recherche « insuffisante ». Elle est aux antipodes de l’intérêt des étudiants et de leur réussite qui nécessite des enseignants en prise avec la recherche et non écartés et placés en situation de sanction.

Une atteinte aux libertés scientifique et pédagogique.

La concurrence ainsi mise en place induit un fonctionnement basé sur le « publish or perish » qui conduit, pour satisfaire des critères d’évaluation toujours plus normatifs, à une recherche standardisée, minimisant la prise de risque, restreignant par là-même l’innovation et la créativité qui se nourrissent de la liberté de recherche. L’enseignement, perçu comme une corvée, ne bénéficiera pas de l’investissement nécessaire aux innovations pédagogiques.

Atomisation du statut par une déclinaison établissement par établissement.

Sur la base de « principes généraux » adoptés par le conseil d’administration, le président d’une université arrête les décisions individuelles d’attribution de services des enseignants-chercheurs, transmettant à chacun un tableau de service (article 4.II). Il s’agit donc d’une remise en cause d’un statut national par une gestion locale et individualisée. Un outil de plus dans la concurrence entre établissement instaurée par la loi LRU.

Une dérèglementation généralisée sans recours.

Ce projet de décret comporte de nombreuses autres dispositions dont le sens général est de poursuivre la mise en place de la loi LRU, brisant le cadre national de la recherche française et imposant une déréglementation d’ensemble de la gestion des universités. Ainsi, ce texte en projet confie au seul échelon local -l'établissement, son conseil d'administration et surtout son président - l'attribution des congés CRCT (article 13), et promotions (articles 21 et 32). Pour ces dernières, même si un avis classant national est émis par les sections du CNU, dans le cadre d'un processus d'évaluation global et quadriennal de l'activité individuelle des enseignants-chercheurs, cet avis n'est pas déterminant. Le volume des promotions et des accélérations de carrière (plus conséquentes pour les professeurs que pour les maîtres de conférences) est global par établissement (articles 21.I et 32.I): il ne fera pas bon être dans une discipline très minoritaire ! Sur le plan scientifique, le CNU pourrait être contourné par le niveau local pour le recrutement d'un collègue titulaire d'un titre universitaire étranger (article 15).